Éducation émancipatrice : L’espoir devient nécessité ! 

Raymond Millot  (14 avril 2018) 

 Le projet d’une éducation émancipatrice s’est développé au 19èmesiècle associé, aux luttes  d’un prolétariat durement exploité et aux idées révolutionnaires. Le capitalisme apparaissait comme un système condamné historiquement et qui devrait faire place, dans un avenir proche, à une société socialiste.

1871, la Commune de Paris est écrasée et les tenants d’une éducation émancipatrice sont fusillés, envoyés au bagne ou en Nouvelle Calédonie, comme Louise Michel. En revanche, le conditionnement éducatif est organisé et généralisé, avec succès, par Jules Ferry en 1881. Il dure encore. Il ne s’agit plus aujourd’hui de formater de jeunes patriotes pour « la revanche » sur les Prussiens, mais de préparer à l’ « emploi », dans une société de plus en plus dure et prétendument sans alternative.

1871, 1917, 1936, 1945, 1968… un projet éducatif a accompagné ces évènements, tous inspirés par l’idée d’une  société, plus fraternelle, plus libre, plus égalitaire.

Si l’idée reste toujours fondée, sa réalisation ne nous semble plus garantie par la marche de l’Histoire. De plus, elle doit aujourd’hui composer avec des faits que l’on n’était alors pas en mesure d’envisager : les conséquences dramatiques des activités humaines que la révolution industrielle a développées d’une manière exponentielle.

Le réchauffement climatique – que la COP 21 a fait connaître et reconnaître par toutes les nations – change précisément cette marche de l’Histoire, au point de mettre en péril l’existence même de l’humanité. Les alertes de plus en plus fréquentes des scientifiques devraient empêcher d’oublier le danger et la nécessité d’y faire face.

L’information atteint le grand public mais celui-ci doit avant tout faire face au quotidien, vivre au jour le jour. Le personnel politique qui a les moyens, matériels et culturels, d’en mesurer la  gravité est partagé entre trois attitudes : nier les faits, différer les décisions, ou déclarer l’urgence d’une  transition écologique… souvent en se laissant mobiliser par les problèmes d’actualité.

Ainsi, tout le monde ou presque, pratique la « dissonance cognitive ». On sait mais on fait tout comme si l’on ne savait pas. Et les activités humaines se poursuivent en ignorant la ligne d’horizon tragique que dessinent la croissance démographique, l’agriculture industrielle et la pollution, l’extinction des espèces et les nombreuses conséquences du  réchauffement.

Les intellectuels et des militants doivent en revanche intégrer dans leurs analyses et stratégies l’inéluctabilité de ce changement de paradigme. Adopter une attitude offensive et constructive : lancer l’alerte et faire des propositions.                                                                                                                Et pour ce qui concerne l’éducation, s’interroger : de quels outils intellectuels et matériels les enfants actuellement à l’école, vont-ils avoir besoin devant les catastrophes annoncées ?

Ce questionnement devrait rendre dérisoires les querelles actuelles et plus encore la nostalgie d’un passé mythique. Y compris les problèmes d’accès à l’université. Il devrait conduire à imaginer des propositions

En 1945 les forces progressistes ont impulsé le plan Langevin Wallon. L’idée de plan est aujourd’hui contestable par sa « verticalité ». En revanche, il est possible de promouvoir l’idée d’une « recherche-action » ambitieuse, s’efforçant d’explorer les réponses imaginables.

Les propositions qui suivent, les unes exprimées dans un manifeste, fruits d’une réflexion théorique, les autres dans un appel, issu de pratiques alternatives portées par des réalisations émancipatrices (écoles ouvertes de tout un quartier, gestion d’une ville de banlieue), convergent et ouvrent des pistesen ce sens.

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Les auteurs du « MANIFESTE POUR UNE EDUCATION A LA CITOYENNETE PLANETAIRE » (1) publié en 2015, à l’occasion de la COP 21, font ce constat : « depuis vingt ans, les responsables des conférences climatiques considèrent l’éducation comme ‘hors sujet’ ». Dans ces milieux, comme en France, on est très loin d’estimer que l’éducation « devrait  constituer un levier fondamental du changement ».

La même conviction est exprimée dans l’appel titré «LA TRANSITION ECOLOGIQUE DOIT MOBILISER LE SYSTEME EDUCATIF »(2) diffusé en octobre 2017 : « La transition écologique devrait porter le projet d’un système éducatif qui n’occulte pas les problèmes,  qui prépare les futurs citoyens à y faire face  d’une manière lucide et active, qui oriente leur dynamisme vers les réalisations et les recherches d’alternatives… », « Cette préoccupation se heurte à une tradition de programmes, de progressions, d’examens, à une formation des enseignants qui, quand elle existe, les enferme dans leur spécialité. Les difficultés que rencontre le modeste projet de travail interdisciplinaire en témoignent. Cette étude des phénomènes qui menacent l’humanité exigeraient au contraire son renforcement, sa généralisation… Les adultes de demain ont en effet besoin d’une pensée qui aborde tout problème comme un ensemble d’éléments en relations mutuelles, d’une pensée « systémique »qui peut et doit s’exercer dès l’école maternelle ».

Dans le MANIFESTE, Edgar Morin est cité. Il précise :«…nécessité d’une pensée apte à relever le défi de la complexité du réel, c’est-à-dire de saisir les liaisons, interactions et implications mutuelles»  et il précise : « Notre école doit devenir une école de la construction de l’identité planétaire et des valeurs de solidarité et d’équité universelles. Elle doit devenir une école de la compréhension des grands enjeux sociaux, économiques et environnementaux, en même temps qu’une école de l’engagement local, de la participation et de la renaissance de la démocratie authentique. Une école de la transformation des relations sociales, du dialogue interculturel et de la valorisation des différences ».

« Ceci implique une approche systémique, véritable révolution dans la manière de penser le monde et de se penser dans le monde. Il faut apprendre à relier les éléments entre eux, montrer à quel point l’être humain est inscrit dans un ensemble et à quel point, chaque fois qu’il agit sur un des éléments, cela retentit sur la totalité. Il s’agit de permettre aux individus de comprendre comment fonctionne le vaste monde dans lequel ils se trouvent; il s’agit de leur montrer comment, de fait et quoi qu’ils en pensent, ils disposent d’un pouvoir bien réel d’agir sur le monde et cela, tant au niveau local qu’au niveau national ou planétaire ».

 

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La contrainte écologique  offre ainsi de nouvelles perspectives au projet, plus que centenaire, d’une éducation émancipatrice et donne l’occasion d’adopter une attitude offensive parfaitement justifiée, face à la vague conservatrice et réactionnaire

Raymond Millot, 14 Avril 2018

 

(1) Le Manifeste constitue un livre collectif et porte le titre POUR VIVRE ENSEMBLE A 10 MILLIARDS, CHANGEONS L’EDUCATION  On peut le lire à l’adresse   Paris-education2015-manifeste.pdf